JOURNAL D'UN PRISONNIER DE GUERRE

(Stalag IV A - 1940)

Auteur : Omer HELLIN

En 1940, Léon BRABANT passa cinq mois en détention en Allemagne avant de retrouver les siens. Dans un petit carnet aux pages maintenant jaunies, noircies par une écriture au crayon, il a relevé avec une rare précision tous les détails de sa vie de prisonnier.  Ses descriptions permettent d’en apprendre beaucoup sur la dernière guerre et les conditions de vie de ceux qui, comme lui, ont connu la captivité. Quoi de plus fort en effet que le témoignage d’une personne (maubraisienne) ayant vécu ces temps perturbés !


Léon BRABANT naquit à Gaurain-Ramecroix en 1897. Marié à Germaine FONTAINE, il habitait Maubray. Son fils - Maurice - fut bourgmestre de la localité avant la fusion des communes (de 1970 à 1976). Léon fut brigadier milicien au 1er régiment d’artillerie lourde; classe 1917:



En congé illimité après son service militaire, il fut muté dans la réserve en 1937 à la 3e compagnie du 27e bataillon des unités de garde des voies de communication et établissements (G.V.C.E; Tournai). Le 10 mai 1940, Hitler envahit la Belgique. Rappelé au sein de l’armée, Léon a alors 43 ans et est marié depuis 16 ans. D’abord combattant sur le sol belge puis prisonnier en Allemagne, il eut la chance (si on peut dire) de sortir de l’enfer de la captivité à la fin octobre 1940. Grâce à son journal personnel, il est possible de vivre avec lui ci-après ses souvenirs de mobilisation et de captivité.
 

  1. LA CAMPAGNE DES 18 JOURS .

    L’invasion du pays par les troupes allemandes débuta le 10 mai 1940 et aboutit à la capitulation belge du 28 mai 1940; cette période est connue sous l’appellation de « campagne des 18 jours ». Le 13 mai, le ministre de la défense nationale décréta la mobilisation. Rappelé au sein de l’armée, Léon ne pouvait que se soumettre; suivons son parcours:

    • Vendredi 17 mai : A 14.3O heures, départ de Maubray à vélo afin de rejoindre mon unité à Ostende. Logement à Ellezelles.

    • Samedi 18 mai : A 18 heures, arrivée à Ostende. Logement à l’athénée.

    • Dimanche 19 mai : A Ostende, garde.

    • Lundi 20 mai : A Ostende, repos. J’apprends qu’à Maubray, la population a évacué.

    • Mardi 21 mai : Planton au cantonnement. Vers 17 heures, bombardement d’Ostende. Rassemblement des hommes disponibles afin d’aller combattre le début d’incendie de la grande poste. Sommes rentrés après minuit, fumés comme des jambons! Bombardement toute la nuit.

    • Mercredi 22 mai : Garde au cantonnement. Deux bombes le soir. Nuit calme.

    • Jeudi 23 mai : Garde à la poste, à l’hôpital de Bredene. Patrouille en ville en vue d’empêcher le pillage des maisons évacuées. Dans la nuit, départ d’une trentaine de soldats vers Bredene pour garder des ponts et écluses minés. Retour au cantonnement le jour suivant vers midi.

    • Vendredi 24 mai : Matinée (voir ci-avant). Après-midi, alors que je croyais me reposer, des avions sont venus bombarder l’hôpital militaire d’Ostende. L’incendie s’est déclaré immédiatement. Nous avons sorti et sauvé tous les blessés (40 environ; soldats et civils) et les avons ramenés au cantonnement sur des civières. Nous nous sommes ensuite occupés d’eux: avons envoyé les plus graves vers un hôpital et descendu les plus valables dans l’abri. Journée inoubliable. Toute la nuit les bombardements ont continué.

    • Samedi 25 mai : Bombardement sans arrêt pendant toute la journée. Vers 16 heures, nous quittons Ostende, sans regret, pour aller nous installer à Mariakerke. Partons à vélo. Sommes logés dans des maisons vides de leurs habitants. Je loge dans un bon lit. Sommes à trois dans une chambre à la villa René, pas loin des dunes. Quel changement! On se sent sorti de l’enfer et entré au paradis vu la tranquillité et le bon air. On s’est couché, fenêtre grande ouverte.

    • Dimanche 26 mai : Journée tranquille. Messe à 8 heures. J’ai regardé passer toute une foule d’évacués belges qui revenaient de France. Je me disais que je pourrais peut-être voir les miens s’ils ont évacué. C’est-ce qui me tracasse le plus: « avez-vous quitté la maison? où êtes-vous? n’êtes-vous pas malheureux? ».
      Lundi 27 mai: Garde.

  2. DE LA CÔTE BELGE A L’ENTREE EN ALLEMAGNE

    • Mardi 28 mai : CAPITULATION de la Belgique. Je quitte Mariakerke tout de suite pour rentrer à Maubray au plus tôt. Malheureusement, je suis arrêté à Leuze par les Allemands (si près du but!) et dirigé sur Renaix. De là, on nous conduit, à pied, d’étape en étape, jusqu’en Hollande puis en Allemagne.

    • Jeudi 30 mai : Renaix-Enghien, à pied.

    • Vendredi 31 mai : Enghien-Nivelles, à pied.

    • Samedi 1 juin : Nivelles-Gembloux, à pied.

    • Dimanche 2 juin : Gembloux-Merksem, à pied.

    • Lundi 3 juin : Merksem; on loge dans une prairie.

    • Mardi 4 juin : On part vers Heerlen (NL).

    • Mercredi 5 juin : Réveil à 4 heures. Traversée à pied de tout le Limbourg hollandais où nous sommes reçus on ne peut mieux par la population. On entre en Allemagne à 18 heures.

  3. DE LA FRONTIERE ALLEMANDE AU STALAG IV A.
    (Camp de HOYERSWERDA)

    • Mercredi 5 juin : Dès notre arrivée en Allemagne, on embarque dans des wagons fermés et on voyage toute la nuit.

    • Jeudi 6 juin : Toujours sur notre train, poursuivons le voyage jusqu’à 18 heures. Sommes ankylosés. Après une demi-heure de marche, arrivons dans un camp très bien aménagé. Nous nous trouvons à HOYERSWERDA (Haute Silésie) à la frontière tchécoslovaque. Sommes plusieurs milliers de Belges (Flamands et Wallons) dans le camp; des Français aussi. On peut enfin se laver, se raser. Recevons de la nourriture.

    • Du vendredi 7 juin au mardi 25 juin : Séjour au camp. Tous les jours, on aperçoit des cigognes. Le 21 juin, 400 Belges quittent le camp, mais on ignore pour quelle destination. On espère toujours rentrer chez soi (cafard).

  4. DE HOYERSWERDA AU CAMP DE KLEINSAUBERNITZ
    (Camp de travail)

    • Mercredi 26 juin : Réveil à 3.30 heures. A 6 heures, 1000 Belges quittent le camp.
      Embarquons à la gare d’HOYERSWERDA. Débarquons vers midi à BAUTZEN. Montons à 35 dans un camion jusqu’à GUTTAU, au camp de travail de KLEINSAUBERNITZ. D’aucuns parmi nous vont aller travailler dans des fermes; des fermiers, d’ailleurs présents dès notre arrivée, viennent choisir le ou les prisonniers qu’ils souhaitent recruter, à charge pour eux de le(s) nourrir.
      Personnellement, je suis désigné ainsi que 8 autres soldats pour aller œuvrer dans une fabrique de flocons de pommes de terre, à 4 km du camp (BARUTH).
      Sommes bien logés au camp.

    • Jeudi 27 juin : Sommes restés au logement (11 hommes) pour aménager celui-ci. Recevons de la bonne nourriture.

    • Vendredi 28 juin : A 6 heures, sommes 4 à partir, à pied, pour la fabrique (dénommée aussi « usine ») à BARUTH en vue d’y travailler; il s’agit d’un premier contact.

  5. SEJOUR AU CAMP DE KLEINSAUBERNITZ


    Léon BRABANT (prisonnier 19.803) séjourna au camp de KLEINSAUBERNITZ du 26 juin au 23 octobre 1940, soit pendant près de quatre mois :

    1. Le travail.
      L’usine qui l’occupe se situe à BARUTH, à 4 km du camp. Le trajet, à pied, prend une heure tant le matin que le soir. Elle fabrique des flocons de pommes de terre mais commercialise aussi des machines agricoles, des engrais (sacs de 75 kg), des pommes de terre, des aliments pour le bétail et la volaille. Douche 3 à 4 fois par semaine.
      Le travail consiste à charger et décharger les camions et les wagons qui arrivent et partent régulièrement. Pendant les temps morts, Léon se voit chargé d’effectuer des travaux de peinture (boiseries et matériel agricole), de traitement des mauvaises herbes, des terrassements, du bricolage, de l’ensachage de flocons de pommes de terre. Le contremaître est on ne peut plus gentil.
      Le dimanche est jour de repos, en principe tout au moins; Léon en profite pour faire sa lessive et de la couture (repriser ses chaussettes , recoudre un bouton…).

    2. Les camarades. 
      Léon fait état de la présence, dans le camp, de soldats de Maubray et des environs, avec lesquels il se réjoui d’avoir des contacts le soir (jeu de cartes notamment); ils logent dans le même baraquement:
      - de Maubray: Albert HELLIN (dit « Albert du piston »), Victor HUART (dit « Victor Bilou »), Amé HELLIN (dit « Amé Michorèle »),
      - de Fontenoy: Georges HELLIN (dit « Geoges du Boteleu), Emile GALLAIX, Auguste PETIT,
      - de Callenelle: Ghislain DUMOUTIEZ,
      - de Wasmes: Fernand DEUR (?).

      Beaucoup de camarades travaillent dans des fermes; le soir, ils se retrouvent tous au camp.

    3. La nourriture.
      L’alimentation constitue un des sujets primordiaux des récits de Léon; la description qu’il en donne fait en effet l’objet de développements journaliers circonstanciés.
      Dans l’ensemble, à en juger par ses écrits, on ne peut pas dire qu’il se soit plaint de la nourriture qui lui a été dispensée, tant en quantité qu’en qualité.
      - Le matin: soupe , tartines et parfois pâté.
      - Le soir: quatre tartines avec charcuterie, soupe.
      - A midi, en semaine mais aussi le dimanche, repas à l’usine. Suffisant et très varié. En
      plus des traditionnelles pommes de terre (servies telles quelles ou en salade), il comprenait toujours une viande (porc, parfois rosbif, boulettes, oiseau sans tête, foie) ou de la charcuterie (lard, jambon, boudin), ou encore du fromage blanc (ou de lait battu); des légumes (haricots verts, carottes, tomates, chou, chou-fleur, navet, concombre), de la
      sauce (souvent au sucre: elle passait moins bien; ou sucrée à la moutarde: infecte).
      Comme variantes: du riz, de la ratatouille, de la soupe (aux oignons, aux raisins).
      Le dimanche uniquement: un dessert (crème à la framboise ou au cacao).

      • Le dimanche 25 août, Léon a répondu favorablement, ainsi qu’un camarade, à la demande d’un habitant de l’endroit qui souhaitait avoir de l’aide pour scier son bois:
        « Dès notre arrivée à 8 heures, nous avons eu du café au lait et deux couques bien beurrées. A midi, nous avons mangé à la même table que la dame, son père et sa mère: pommes de terre, un gros morceau de porc et beaucoup de sauce; comme dessert, une espèce de marmelade aux raisins, et puis, ce qui m’a plu, une grande tasse de vrai café au lait et sucre. L’après-midi, nous sommes retournés au logement et le soir, la dame nous a apporté à chacun quatre tartines au pâté et une carafe de cacao qui m’a bien goûté
        (depuis si longtemps que je n’en avais plus bu !). Nous avons également reçu un paquet de tabac et un paquet de cigarettes. Nos camarades de la fabrique nous ont apporté notre souper (quatre tartines au pâté); de cette façon, je pense me régaler pendant quelques jours.

      • A la demande de la dame, nous sommes retournés chez elle le dimanche suivant (le 1er septembre) pour poursuivre le travail. En arrivant, nous avons reçu deux couques, du café et deux morceaux de tarte. A midi, le travail terminé, nous avons déjeuné avec deux grosses boulettes, de la sauce et trois verres de bière; comme dessert, un genre de confiture et encore de la tarte. Nous avons reçu chacun un paquet de tabac, un paquet de cigarettes et des allumettes. A 13.30 heures, nous sommes retournés au logement.  Le soir, la dame nous a apporté à chacun trois tartines avec du saucisson et une bouteille de bière. On en boit si rarement qu’on serait prêt à ingurgiter la bouteille entière! De plus, nos camarades de la fabrique nous ont apporté notre souper: 4 tartines au pâté. Ainsi, j’ai l’avance pour demain. 

      • Mercredi 15 octobre : en attendant 13 heures, alors que je me promenais dans la cour de l’usine, le patron m’a appelé chez lui et m’a offert une carcasse de poulet et du chou rouge, avec des pommes de terre. D’être ainsi à sa table, cela me faisait tellement drôle que j’avais envie de pleurer.

        Ces récits, que nous avons tenu à reproduire in extenso, montrent à quel point, après une période de privations, le retour à une alimentation « normale », autour d’une table familiale, peut être source de plaisir et de réconfort. Un rayon de soleil; une bouffée d’oxygène…si appréciables.

    4. La discipline.
      Les conditions de détention sont décrites dans le journal du prisonnier Brabant comme correctes. Les sentinelles sont « humaines ». Une disposition importante du règlement affiché dans les chambres précise que:

      « Il est strictement interdit aux prisonniers de guerre de s’approcher, sans autorisation formelle, d’une femme ou d’une jeune fille allemande ou d’entrer en relation avec elle de quelque manière que ce soit. Tout prisonnier violant cet ordre sera condamné jusqu’à 10 ans de prison ou, dans des circonstances graves, subira la peine de mort.
      Signé: Le commandant en chef de l’armée allemande. »

      Léon ne fait pas mention de maltraitances physiques, ni morales, ni d’humiliations.

    5. Un blessé.
      Le mercredi 3 juillet, étant occupé à charger des machines agricoles, une presse est tombée sur le camarade Henri BAUGNIES. « Si je n’avais pas retenu la machine de toutes mes forces, ce camarade aurait été tué sur le coup. On a dû le transporter en clinique; il n’a rien de cassé. Il en sera quitte pour 15 jours de repos. Un ouvrier allemand a eu le pied cassé en même temps. »
      J’ai revu Henri BAUGNIES le mercredi 23 octobre, deux jours avant ma libération; il était presque guéri. 

    6. Le courrier.
      Ce qui pesait le plus lourdement sur le moral de Léon était l’absence totale d’informations pendant longtemps sur le sort réservé à sa famille. Il a dû en effet attendre le 10 août, soit trois mois après son départ, avant de recevoir la première lettre de son épouse.
      Jugeons plutôt sur pièces combien fut douloureuse cette attente, mais aussi heureuse l’arrivée de la première missive:

      • 7 juillet : si au moins on avait des nouvelles de la famille.

      • 21 juillet : Albert HELLIN a reçu des nouvelles de chez lui via sa belle-sœur.

      • 24 juillet : pas encore reçu de nouvelles; triste.

      • 1 août : toujours pas de nouvelles.

      • 7 août : 6 lettres sont arrivées; il n’y en avait pas pour moi; quelle déveine.

      • 8 août : toujours pas de nouvelles.

      • 10 août : le soir en rentrant au logement, quelle chance, il y a une lettre et une carte.
        Je suis heureux d’apprendre que mon épouse et mon fils sont en bonne santé. J’ai lu et relu les nouvelles plus de 10 fois en suivant. Je ne pouvais pas lire quatre lignes sans pleurer. Quelle malchance tout de même j’ai eue. Dire que je suis éloigné des miens de 1000 km et que, par contre, des camarades sont rentrés chez eux. Je me suis couché à 22 heures; il était bien 2 heures du matin quand je me suis endormi.

      • 11 août : anniversaire de notre mariage, il y a 17 ans; je dois hélas le passer ici … en veuvage. Mon premier travail, au réveil, est de relire la lettre reçue hier, toujours avec les larmes aux yeux.

      • 12 août : je passe encore en revue la lettre.

      • 14 août : une dizaine de lettres sont arrivées au camp; presque toutes signalent que beaucoup de soldats sont rentrés au pays. Moi, je n’ai rien obtenu. A quand notre tour de rentrer?

      • 18 août : on a distribué 8 lettres; rien pour moi.

      • 21 août : le soir en rentrant on me remettait une lettre; je suis on ne peut plus content; je ne parviens pas à la lire sans avoir les larmes aux yeux. Albert HELLIN apprend par une lettre que sa sœur Marguerite est décédée et que Léon BEUDIN, le mari, est rentré un mois plus tard.

      Par la suite, le courrier arrivait plus régulièrement, mais au compte-gouttes et avec beaucoup de retard (deux et parfois trois semaines). Il reste que Léon continue dans son journal à traduire de manière récurrente son impatience à recevoir de la correspondance. Il n’est par ailleurs pas exclu que certaines lettres écrites par son épouse ne lui parvenaient pas.

      Quant à l’envoi de courrier par les prisonniers à destination de la Belgique, il ne fut autorisé qu’à partir du 10 juillet et il était très réglementé, comme l’indique le document ci-après. Des formulaires vierges de cartes et lettres, remis à chacun en nombre limité (une lettre et trois cartes par mois), étaient les seuls à pouvoir être utilisés; c’était l’unique possibilité d’informer les proches de leur vie et de leur état de santé:


      Cliquez pour agrandir le document


      Consulter les modèles de lettres et cartes

    7. Le cafard.
      « Cafard » : voilà le maître mot qui émaille le journal de Léon. Les dimanches, en particulier, se déroulaient dans la morosité; ils étaient source de souffrances, de cafard, d’attente.
      Dans les premiers temps de sa captivité, il entretenait l’espoir d’un retour rapide au pays, mais l’éloignement prolongé et l’incertitude quant à la durée de la détention devenaient insoutenables; le découragement engendrait inévitablement des idées noires . Combien de fois n’a-t-il pas écrit dans son journal: « A quand le retour? Hélas, il se fait bien attendre », réactions d’autant plus compréhensibles que des informations lui parvenaient de temps en temps signalant le rapatriement de prisonniers en Belgique.

      • 26 août : des camarades nous ont dit avoir entendu à la radio que nous serions tous rentrés pour la mi-septembre.

      • 29 août : je commence à perdre l’espoir de retourner avant la fin de la guerre.

      • 31 août : allons-nous rester ici les derniers? Quelle joie lorsque nous serons de retour! 

      • 27 septembre : un camarade, Edmond WAUTRECHT, de Houdeng-Aimeries, apprend que demain, il pourra retourner au pays et ce parce qu’il est bilingue (N.B.- , cette personne, une semaine après son retour, est allée donner des nouvelles de son père à Maurice, qui étudiait à l’Institut St-Ferdinand, à Jemappes).

      •  28 septembre : un soldat allemand nous dit que nous retournerons dans quelques semaines; cette nouvelle fait remonter le moral; il était temps car il était déjà bien bas. »

En fait, l’attente durera encore un mois!

  1. Abstinence tabagique.
    Gros fumeur de pipe, Léon subit un sevrage tabagique forcé au début de sa captivité. Sa souffrance psychique la plus pénible était, disait-il, liée à l’absence de tabac

    • 13 juin : je n’ai plus de tabac.

    • 10 juillet : avons reçu un peu de tabac.

    • 12 juillet : le contremaître de l’usine est très gentil avec nous; j’ai de la chance de lui pour pouvoir fumer de temps en temps une bonne pipe.

    •  21 juillet : la patron de l’usine, à qui j’ai dit que c’était le jour de notre fête nationale, m’a donné un cigare et un morceau de tarte au fromage.

    •  1 août : s’adressant à sa famille: «vous pouvez m’envoyer un colis (il ne peut pas dépasser 2 kg); je n’ai pas besoin de nourriture, si ce n’est du chocolat, mais de tabac et d’une pipe. »

    •  4 août : le patron nous a gratifié de cigarettes et de tabac.

    •  7 août : on nous a attribué une solde pour la première fois.

    •  8 août : grâce à la solde (70 Pfennig par jour), je peux maintenant acheter du tabac et fumer à volonté!

    • 16 août : j’ai acheté une pipe, une boîte à tabac et du tabac.

Voilà un calvaire qui au moins prenait fin!

  1. Exacte notion du temps.
    Il est frappant de constater à quel point la notion exacte du temps écoulé et des dates importantes est restée présente et obsessionnelle dans la mémoire de Léon. Il fait état régulièrement, et avec une grande précision, du temps passé depuis son départ de la maison, son arrivée au camp, la capitulation de la Belgique, etc. Il pointe aussi du doigt le jour de son anniversaire de mariage ainsi que l’anniversaire de son épouse, les fêtes typiquement belges (21 juillet, 15 août), le jour de la reprise des cours de son fils.

  2. La foi.
    La foi fut un pilier non négligeable dans l’équilibre mental de Léon; elle lui a permis de surmonter plus facilement ses inévitables moments de découragement.

    Pendant son bref séjour à HOYERSWERDA, il servit la messe en plein air (les dimanches 16 et 23 juin) devant 2000 prisonniers.

    Au camp de KLEINSAUBERNITZ, aucune manifestation religieuse n’était organisée. Son journal relate toutefois quelques faits et réflexions:

    •  Le dimanche 21 juillet, on nous a demandé qui voulait aller assister à la messe catholique, sachant qu’il y avait deux heures de route à pied (idem pour le retour) pour arriver à l’église. Nous nous sommes décidés à huit pour y aller.

    •  Dimanche 4 août : A 10 heures, j’entends les cloches de l’église protestante qui sonnent à toute volée pour la messe. Il fait beau; j’ai le cœur qui saigne.
      A 10.30 heures, j’écoute à la radio une belle messe chantée. Je me crois au jubé à Maubray en train de chanter (N.B.- Léon était chantre à l’église de Maubray). Je vois mon épouse à sa place habituelle dans l’église; je ne puis m’empêcher de pleurer.

    •  Jeudi 15 août : fête de l’assomption. Pas le moindre signe de fête. On travaille comme les autres jours car, chez les protestants, le 15 août n’est pas un jour férié; or, dans cette contrée, il n’y a que des protestants. Ici, il pleut, s’il fait le même temps à Maubray, la procession ne pourra pas sortir (N.B.- Allusion à la traditionnelle procession du 15 août) !

  1. LES DERNIERS JOURS AU CAMP DE KLEINSAUBERNITZ

    Les derniers jours passés au camp avant le retour en Belgique furent vraiment pathétiques. Jugeons plutôt :

    • Mardi 22 octobre : la patronne du Gasthof où je vais chercher la nourriture me remet un sac contenant une dizaine de tartines supplémentaires en justifiant cette action par le fait qu’un coup de téléphone venait de lui apprendre qu’un soldat retournerait le lendemain au Stalag IV (à HOYERSWERDA) en vue d’un rapatriement ultérieur en Belgique. Elle ignorait de quelle personne il s’agissait. Au souper, nous étions 8 à nous regarder, nous demandant qui serait cet heureux. J’avais l’impression que ce serait moi; aussi, je ne suis pas parvenu à manger. Je pleurais de joie rien qu’à y penser. Comme de fait, on vient subitement me prévenir que c’était moi, mais aussi 3 camarades (de Fontenoy): Georges HELLIN, Auguste PETIT, Emile GALLAIX. Quel énervement; je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. J’ai préparé tout mon barda, en vue du départ à 4.30 heures du matin.

    • Mercredi 23 octobre : lever à 3.30 heures. Toilette rapide. A 4 heures, départ à pied pour la gare de BARUTH. Quelle tristesse lorsque nous quittons le camp; pire qu’un enterrement; nos compagnons d’infortune - càd ceux qui malheureusement restent sur le carreau - pleurent en nous disant au revoir. Prenons le train à BARUTH; à 6 heures, descendons à RADIBOR (10 km au nord de BAUTZEN). Vers 7 heures, partons au logement des prisonniers belges de cette région. Un 5e soldat, un habitant d’Anvaing, qui était à MALWILZ, vient se joindre à nous pour le retour.
      A 15 heures, trajet en train de RADIBOR pour arrivée à la gare de HOYERSWERDA à 16.30 heures, puis une heure de marche pour atteindre le Stalag IV A. On nous fait remplir une fiche (nom, date de naissance, etc). On nous signale que nous retournerons sous peu. Dormons dans un baraquement sur de simples planches. Sommes 16 en partance. Il reste environ 200 Belges au camp, des Français, des Polonais…

    • Jeudi 24 octobre : 2 sur les 16 partent avant-midi. On nous demande de ne pas quitter le baraquement car on peut nous appeler à tout moment. Le soir arrive: rien. Le temps semble long.

    • Vendredi 25 octobre : on nous dit que nous partons sur le champ. Nous devons remettre nos effets militaires et on nous donne en remplacement des vêtements civils. Sommes à croquer! L‘important, c’est que nous retournons. Sommes 14 des environs de Tournai dans le cas. On nous délivre l’attendue « attestation de démobilisation » (voir ci-après).

Ici prend fin le précieux journal personnel tenu par Léon BRABANT,
qui donne une splendide illustration du vécu de l’auteur pendant ses jours d’errance et d’emprisonnement.
Nous ignorons le temps qu’a pris le trajet de son retour en Belgique.

Une fois la liberté retrouvée, Léon fut membre actif de l’Armée Secrète :




Attestation de démobilisation