En 1940, Léon BRABANT passa cinq mois en détention en Allemagne avant de
retrouver les siens.
Dans un petit carnet aux pages maintenant jaunies, noircies par une
écriture au crayon, il a relevé avec une rare précision tous les détails
de sa vie de prisonnier.
Ses
descriptions permettent d’en apprendre beaucoup sur la dernière guerre
et les conditions de vie de ceux qui, comme lui, ont connu la captivité.
Quoi de plus fort en effet que le témoignage d’une personne
(maubraisienne) ayant vécu ces temps perturbés
!
Léon BRABANT naquit à
Gaurain-Ramecroix en 1897. Marié à Germaine FONTAINE, il
habitait Maubray. Son fils - Maurice - fut bourgmestre de la
localité avant la fusion des communes (de 1970 à 1976). Léon fut
brigadier milicien au 1er régiment d’artillerie lourde; classe
1917:
En congé illimité après son service militaire, il fut muté
dans la réserve en 1937 à la 3e compagnie du 27e bataillon des
unités de garde des voies de communication et établissements
(G.V.C.E; Tournai). Le 10 mai 1940, Hitler envahit la Belgique.
Rappelé au sein de l’armée, Léon a alors 43 ans et est marié
depuis 16 ans. D’abord combattant sur le sol belge puis
prisonnier en Allemagne, il eut la chance (si on peut dire) de
sortir de l’enfer de la captivité à la fin octobre 1940. Grâce à
son journal personnel, il est possible de vivre avec lui
ci-après ses souvenirs de mobilisation et de captivité. |
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LA CAMPAGNE DES 18 JOURS .
L’invasion
du pays par les troupes allemandes débuta le 10 mai 1940 et aboutit
à la capitulation belge du 28 mai 1940; cette période est connue
sous l’appellation de « campagne des 18 jours ». Le 13 mai, le
ministre de la défense nationale décréta la mobilisation. Rappelé au
sein de l’armée, Léon ne pouvait que se soumettre; suivons son
parcours:
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Vendredi 17 mai : A
14.3O heures, départ de Maubray à vélo afin de rejoindre mon
unité à Ostende. Logement à Ellezelles.
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Samedi 18 mai : A 18
heures, arrivée à Ostende. Logement à l’athénée.
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Dimanche 19 mai : A
Ostende, garde.
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Lundi 20 mai : A
Ostende, repos. J’apprends qu’à Maubray, la population a évacué.
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Mardi 21 mai :
Planton au cantonnement. Vers 17 heures, bombardement d’Ostende.
Rassemblement des hommes disponibles afin d’aller combattre le
début d’incendie de la grande poste. Sommes rentrés après
minuit, fumés comme des jambons! Bombardement toute la nuit.
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Mercredi 22 mai :
Garde au cantonnement. Deux bombes le soir. Nuit calme.
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Jeudi 23 mai : Garde
à la poste, à l’hôpital de Bredene. Patrouille en ville en vue
d’empêcher le pillage des maisons évacuées. Dans la nuit, départ
d’une trentaine de soldats vers Bredene pour garder des ponts et
écluses minés. Retour au cantonnement le jour suivant vers midi.
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Vendredi 24 mai :
Matinée (voir ci-avant). Après-midi, alors que je croyais me
reposer, des avions sont venus bombarder l’hôpital militaire
d’Ostende. L’incendie s’est déclaré immédiatement. Nous avons
sorti et sauvé tous les blessés (40 environ; soldats et civils)
et les avons ramenés au cantonnement sur des civières. Nous nous
sommes ensuite occupés d’eux: avons envoyé les plus graves vers
un hôpital et descendu les plus valables dans l’abri. Journée
inoubliable. Toute la nuit les bombardements ont continué.
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Samedi 25 mai :
Bombardement sans arrêt pendant toute la journée. Vers 16
heures, nous quittons Ostende, sans regret, pour aller nous
installer à Mariakerke. Partons à vélo. Sommes logés dans des
maisons vides de leurs habitants. Je loge dans un bon lit.
Sommes à trois dans une chambre à la villa René, pas loin des
dunes. Quel changement! On se sent sorti de l’enfer et entré au
paradis vu la tranquillité et le bon air. On s’est couché,
fenêtre grande ouverte.
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Dimanche 26 mai :
Journée tranquille. Messe à 8 heures. J’ai regardé passer toute
une foule d’évacués belges qui revenaient de France. Je me
disais que je pourrais peut-être voir les miens s’ils ont
évacué. C’est-ce qui me tracasse le plus: « avez-vous quitté la
maison? où êtes-vous? n’êtes-vous pas malheureux? ». Lundi 27
mai: Garde.
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DE LA CÔTE BELGE A L’ENTREE EN ALLEMAGNE
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Mardi 28 mai :
CAPITULATION de la Belgique. Je quitte Mariakerke tout de suite
pour rentrer à Maubray au plus tôt. Malheureusement, je suis
arrêté à Leuze par les Allemands (si près du but!) et dirigé sur
Renaix. De là, on nous conduit, à pied, d’étape en étape,
jusqu’en Hollande puis en Allemagne.
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Jeudi 30 mai :
Renaix-Enghien, à pied.
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Vendredi 31 mai :
Enghien-Nivelles, à pied.
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Samedi 1 juin :
Nivelles-Gembloux, à pied.
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Dimanche 2 juin :
Gembloux-Merksem, à pied.
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Lundi 3 juin :
Merksem; on loge dans une prairie.
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Mardi 4 juin : On
part vers Heerlen (NL).
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Mercredi 5 juin :
Réveil à 4 heures. Traversée à pied de tout le Limbourg
hollandais où nous sommes reçus on ne peut mieux par la
population. On entre en Allemagne à 18 heures.
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DE LA FRONTIERE ALLEMANDE AU STALAG IV A.
(Camp de HOYERSWERDA)
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Mercredi 5 juin :
Dès notre arrivée en Allemagne, on embarque dans des wagons
fermés et on voyage toute la nuit.
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Jeudi 6 juin :
Toujours sur notre train, poursuivons le voyage jusqu’à 18
heures. Sommes ankylosés. Après une demi-heure de marche,
arrivons dans un camp très bien aménagé. Nous nous trouvons à
HOYERSWERDA (Haute Silésie) à la frontière tchécoslovaque.
Sommes plusieurs milliers de Belges (Flamands et Wallons) dans
le camp; des Français aussi. On peut enfin se laver, se raser.
Recevons de la nourriture.
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Du vendredi 7 juin au
mardi 25 juin : Séjour au camp. Tous les jours, on aperçoit
des cigognes. Le 21 juin, 400 Belges quittent le camp, mais on
ignore pour quelle destination. On espère toujours rentrer chez
soi (cafard).
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DE HOYERSWERDA AU CAMP DE KLEINSAUBERNITZ
(Camp de travail)
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Mercredi 26 juin :
Réveil à 3.30 heures. A 6 heures, 1000 Belges quittent le camp.
Embarquons à la gare d’HOYERSWERDA. Débarquons vers midi à
BAUTZEN. Montons à 35 dans un camion jusqu’à GUTTAU, au camp de
travail de KLEINSAUBERNITZ. D’aucuns parmi nous vont aller
travailler dans des fermes; des fermiers, d’ailleurs présents
dès notre arrivée, viennent choisir le ou les prisonniers qu’ils
souhaitent recruter, à charge pour eux de le(s) nourrir.
Personnellement, je suis désigné ainsi que 8 autres soldats pour
aller œuvrer dans une fabrique de flocons de pommes de terre, à
4 km du camp (BARUTH). Sommes bien logés au camp.
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Jeudi 27 juin :
Sommes restés au logement (11 hommes) pour aménager celui-ci.
Recevons de la bonne nourriture.
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Vendredi 28 juin : A
6 heures, sommes 4 à partir, à pied, pour la fabrique (dénommée
aussi « usine ») à BARUTH en vue d’y travailler; il s’agit d’un
premier contact.
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SEJOUR AU CAMP DE KLEINSAUBERNITZ
Léon BRABANT (prisonnier 19.803) séjourna au camp de KLEINSAUBERNITZ
du 26 juin au 23 octobre 1940, soit pendant près de quatre mois :
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Le travail. L’usine qui l’occupe se
situe à BARUTH, à 4 km du camp. Le trajet, à pied, prend une
heure tant le matin que le soir. Elle fabrique des flocons de
pommes de terre mais commercialise aussi des machines agricoles,
des engrais (sacs de 75 kg), des pommes de terre, des aliments
pour le bétail et la volaille. Douche 3 à 4 fois par semaine.
Le travail consiste à charger et décharger les camions et les
wagons qui arrivent et partent régulièrement. Pendant les temps
morts, Léon se voit chargé d’effectuer des travaux de peinture
(boiseries et matériel agricole), de traitement des mauvaises
herbes, des terrassements, du bricolage, de l’ensachage de
flocons de pommes de terre. Le contremaître est on ne peut plus
gentil. Le dimanche est jour de repos, en principe tout au
moins; Léon en profite pour faire sa lessive et de la couture
(repriser ses chaussettes , recoudre un bouton…).
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Les camarades.
Léon fait état de la présence, dans le camp, de soldats
de Maubray et des environs, avec lesquels il se réjoui d’avoir
des contacts le soir (jeu de cartes notamment); ils logent dans
le même baraquement: - de Maubray: Albert HELLIN (dit
« Albert du piston »), Victor HUART (dit « Victor Bilou »), Amé
HELLIN (dit « Amé Michorèle »), - de Fontenoy: Georges HELLIN
(dit « Geoges du Boteleu), Emile GALLAIX, Auguste PETIT, - de
Callenelle: Ghislain DUMOUTIEZ, - de Wasmes: Fernand DEUR
(?).
Beaucoup de camarades travaillent dans des fermes;
le soir, ils se retrouvent tous au camp.
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La nourriture.
L’alimentation constitue un des sujets primordiaux des
récits de Léon; la description qu’il en donne fait en effet
l’objet de développements journaliers circonstanciés. Dans
l’ensemble, à en juger par ses écrits, on ne peut pas dire qu’il
se soit plaint de la nourriture qui lui a été dispensée, tant en
quantité qu’en qualité. - Le matin: soupe , tartines et
parfois pâté. - Le soir: quatre tartines avec charcuterie,
soupe. - A midi, en semaine mais aussi le dimanche, repas à
l’usine. Suffisant et très varié. En plus des traditionnelles
pommes de terre (servies telles quelles ou en salade), il
comprenait toujours une viande (porc, parfois rosbif, boulettes,
oiseau sans tête, foie) ou de la charcuterie (lard, jambon,
boudin), ou encore du fromage blanc (ou de lait battu); des
légumes (haricots verts, carottes, tomates, chou, chou-fleur,
navet, concombre), de la sauce (souvent au sucre: elle
passait moins bien; ou sucrée à la moutarde: infecte). Comme
variantes: du riz, de la ratatouille, de la soupe (aux oignons,
aux raisins). Le dimanche uniquement: un dessert (crème à la
framboise ou au cacao).
-
Le dimanche 25 août,
Léon a répondu favorablement, ainsi qu’un camarade, à la
demande d’un habitant de l’endroit qui souhaitait avoir de
l’aide pour scier son bois: « Dès notre arrivée à 8
heures, nous avons eu du café au lait et deux couques bien
beurrées. A midi, nous avons mangé à la même table que la
dame, son père et sa mère: pommes de terre, un gros morceau
de porc et beaucoup de sauce; comme dessert, une espèce de
marmelade aux raisins, et puis, ce qui m’a plu, une grande
tasse de vrai café au lait et sucre. L’après-midi, nous
sommes retournés au logement et le soir, la dame nous a
apporté à chacun quatre tartines au pâté et une carafe de
cacao qui m’a bien goûté (depuis si longtemps que je n’en
avais plus bu !). Nous avons également reçu un paquet de
tabac et un paquet de cigarettes. Nos camarades de la
fabrique nous ont apporté notre souper (quatre tartines au
pâté); de cette façon, je pense me régaler pendant quelques
jours.
-
A la demande de la dame,
nous sommes retournés chez elle le dimanche suivant (le
1er septembre) pour poursuivre le travail. En arrivant,
nous avons reçu deux couques, du café et deux morceaux de
tarte. A midi, le travail terminé, nous avons déjeuné avec
deux grosses boulettes, de la sauce et trois verres de
bière; comme dessert, un genre de confiture et encore de la
tarte. Nous avons reçu chacun un paquet de tabac, un paquet
de cigarettes et des allumettes. A 13.30 heures, nous sommes
retournés au logement. Le soir, la dame nous a apporté
à chacun trois tartines avec du saucisson et une bouteille
de bière. On en boit si rarement qu’on serait prêt à
ingurgiter la bouteille entière! De plus, nos camarades de
la fabrique nous ont apporté notre souper: 4 tartines au
pâté. Ainsi, j’ai l’avance pour demain.
-
Mercredi 15 octobre
: en attendant 13 heures, alors que je me promenais
dans la cour de l’usine, le patron m’a appelé chez lui et
m’a offert une carcasse de poulet et du chou rouge, avec des
pommes de terre. D’être ainsi à sa table, cela me faisait
tellement drôle que j’avais envie de pleurer.
Ces
récits, que nous avons tenu à reproduire in extenso,
montrent à quel point, après une période de privations, le
retour à une alimentation « normale », autour d’une table
familiale, peut être source de plaisir et de réconfort. Un
rayon de soleil; une bouffée d’oxygène…si appréciables.
-
La discipline.
Les conditions de détention sont décrites dans le
journal du prisonnier Brabant comme correctes. Les sentinelles
sont « humaines ». Une disposition importante du règlement
affiché dans les chambres précise que:
« Il est
strictement interdit aux prisonniers de guerre de s’approcher,
sans autorisation formelle, d’une femme ou d’une jeune fille
allemande ou d’entrer en relation avec elle de quelque manière
que ce soit. Tout prisonnier violant cet ordre sera condamné
jusqu’à 10 ans de prison ou, dans des circonstances graves,
subira la peine de mort. Signé: Le commandant en chef de
l’armée allemande. »
Léon ne fait pas mention de
maltraitances physiques, ni morales, ni d’humiliations.
-
Un blessé.
Le mercredi 3 juillet, étant occupé à charger des
machines agricoles, une presse est tombée sur le camarade Henri
BAUGNIES. « Si je n’avais pas retenu la machine de toutes mes
forces, ce camarade aurait été tué sur le coup. On a dû le
transporter en clinique; il n’a rien de cassé. Il en sera quitte
pour 15 jours de repos. Un ouvrier allemand a eu le pied cassé
en même temps. » J’ai revu Henri BAUGNIES le mercredi 23
octobre, deux jours avant ma libération; il était presque
guéri.
-
Le courrier. Ce qui pesait le plus
lourdement sur le moral de Léon était l’absence totale
d’informations pendant longtemps sur le sort réservé à sa
famille. Il a dû en effet attendre le 10 août, soit trois mois
après son départ, avant de recevoir la première lettre de son
épouse. Jugeons plutôt sur pièces combien fut douloureuse
cette attente, mais aussi heureuse l’arrivée de la première
missive:
-
7 juillet : si
au moins on avait des nouvelles de la famille.
-
21 juillet :
Albert HELLIN a reçu des nouvelles de chez lui via sa
belle-sœur.
-
24 juillet : pas
encore reçu de nouvelles; triste.
-
1 août :
toujours pas de nouvelles.
-
7 août : 6
lettres sont arrivées; il n’y en avait pas pour moi; quelle
déveine.
-
8 août :
toujours pas de nouvelles.
-
10 août : le
soir en rentrant au logement, quelle chance, il y a une
lettre et une carte. Je suis heureux d’apprendre que mon
épouse et mon fils sont en bonne santé. J’ai lu et relu les
nouvelles plus de 10 fois en suivant. Je ne pouvais pas lire
quatre lignes sans pleurer. Quelle malchance tout de même
j’ai eue. Dire que je suis éloigné des miens de 1000 km et
que, par contre, des camarades sont rentrés chez eux. Je me
suis couché à 22 heures; il était bien 2 heures du matin
quand je me suis endormi.
-
11 août :
anniversaire de notre mariage, il y a 17 ans; je dois hélas
le passer ici … en veuvage. Mon premier travail, au réveil,
est de relire la lettre reçue hier, toujours avec les larmes
aux yeux.
-
12 août : je
passe encore en revue la lettre.
-
14 août : une
dizaine de lettres sont arrivées au camp; presque toutes
signalent que beaucoup de soldats sont rentrés au pays. Moi,
je n’ai rien obtenu. A quand notre tour de rentrer?
-
18 août : on a
distribué 8 lettres; rien pour moi.
-
21 août : le
soir en rentrant on me remettait une lettre; je suis on ne
peut plus content; je ne parviens pas à la lire sans avoir
les larmes aux yeux. Albert HELLIN apprend par une lettre
que sa sœur Marguerite est décédée et que Léon BEUDIN, le
mari, est rentré un mois plus tard.
Par la suite, le courrier
arrivait plus régulièrement, mais au compte-gouttes et avec
beaucoup de retard (deux et parfois trois semaines). Il reste
que Léon continue dans son journal à traduire de manière
récurrente son impatience à recevoir de la correspondance. Il
n’est par ailleurs pas exclu que certaines lettres écrites par
son épouse ne lui parvenaient pas.
Quant à l’envoi de
courrier par les prisonniers à destination de la Belgique, il ne
fut autorisé qu’à partir du 10 juillet et il était très
réglementé, comme l’indique le document ci-après. Des
formulaires vierges de cartes et lettres, remis à chacun en
nombre limité (une lettre et trois cartes par mois), étaient les
seuls à pouvoir être utilisés; c’était l’unique possibilité
d’informer les proches de leur vie et de leur état de santé:
Cliquez pour agrandir le document
Consulter les modèles de lettres et cartes
-
Le
cafard. « Cafard » : voilà le maître mot qui
émaille le journal de Léon. Les dimanches, en particulier, se
déroulaient dans la morosité; ils étaient source de souffrances,
de cafard, d’attente. Dans les premiers temps de sa
captivité, il entretenait l’espoir d’un retour rapide au pays,
mais l’éloignement prolongé et l’incertitude quant à la durée de
la détention devenaient insoutenables; le découragement
engendrait inévitablement des idées noires . Combien de fois
n’a-t-il pas écrit dans son journal: « A quand le retour? Hélas,
il se fait bien attendre », réactions d’autant plus
compréhensibles que des informations lui parvenaient de temps en
temps signalant le rapatriement de prisonniers en Belgique.
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26 août : des camarades nous
ont dit avoir entendu à la radio que nous serions tous
rentrés pour la mi-septembre.
-
29 août : je commence à
perdre l’espoir de retourner avant la fin de la guerre.
-
31 août : allons-nous rester
ici les derniers? Quelle joie lorsque nous serons de
retour!
-
27 septembre : un camarade,
Edmond WAUTRECHT, de Houdeng-Aimeries, apprend que demain,
il pourra retourner au pays et ce parce qu’il est bilingue
(N.B.- , cette personne, une semaine après son retour, est
allée donner des nouvelles de son père à Maurice, qui
étudiait à l’Institut St-Ferdinand, à Jemappes).
-
28 septembre : un soldat
allemand nous dit que nous retournerons dans quelques
semaines; cette nouvelle fait remonter le moral; il était
temps car il était déjà bien bas. »
En fait, l’attente durera encore un mois!
-
Abstinence
tabagique. Gros fumeur de pipe, Léon subit un
sevrage tabagique forcé au début de sa captivité. Sa souffrance
psychique la plus pénible était, disait-il, liée à l’absence de
tabac
-
13 juin : je n’ai plus de tabac.
-
10 juillet : avons reçu un peu
de tabac.
-
12 juillet : le contremaître de
l’usine est très gentil avec nous; j’ai de la chance de lui pour
pouvoir fumer de temps en temps une bonne pipe.
-
21 juillet : la patron de
l’usine, à qui j’ai dit que c’était le jour de notre fête
nationale, m’a donné un cigare et un morceau de tarte au
fromage.
-
1 août : s’adressant à sa
famille: «vous pouvez m’envoyer un colis (il ne peut pas
dépasser 2 kg); je n’ai pas besoin de nourriture, si ce n’est du
chocolat, mais de tabac et d’une pipe. »
-
4 août : le patron nous a
gratifié de cigarettes et de tabac.
-
7 août : on nous a attribué une
solde pour la première fois.
-
8 août : grâce à la solde (70
Pfennig par jour), je peux maintenant acheter du tabac et fumer
à volonté!
-
16 août : j’ai acheté une pipe,
une boîte à tabac et du tabac.
Voilà un calvaire qui au moins prenait fin!
-
Exacte
notion du temps. Il est frappant de constater à
quel point la notion exacte du temps écoulé et des dates importantes
est restée présente et obsessionnelle dans la mémoire de Léon. Il
fait état régulièrement, et avec une grande précision, du temps
passé depuis son départ de la maison, son arrivée au camp, la
capitulation de la Belgique, etc. Il pointe aussi du doigt le jour
de son anniversaire de mariage ainsi que l’anniversaire de son
épouse, les fêtes typiquement belges (21 juillet, 15 août), le jour
de la reprise des cours de son fils.
-
La foi.
La foi fut un pilier non négligeable dans
l’équilibre mental de Léon; elle lui a permis de surmonter plus
facilement ses inévitables moments de découragement.
Pendant
son bref séjour à HOYERSWERDA, il servit la messe en plein air (les
dimanches 16 et 23 juin) devant 2000 prisonniers.
Au camp de
KLEINSAUBERNITZ, aucune manifestation religieuse n’était organisée.
Son journal relate toutefois quelques faits et réflexions:
-
Le dimanche 21 juillet, on
nous a demandé qui voulait aller assister à la messe catholique,
sachant qu’il y avait deux heures de route à pied (idem pour le
retour) pour arriver à l’église. Nous nous sommes décidés à huit
pour y aller.
-
Dimanche 4 août : A 10 heures,
j’entends les cloches de l’église protestante qui sonnent à
toute volée pour la messe. Il fait beau; j’ai le cœur qui
saigne. A 10.30 heures, j’écoute à la radio une belle messe
chantée. Je me crois au jubé à Maubray en train de chanter
(N.B.- Léon était chantre à l’église de Maubray). Je vois mon
épouse à sa place habituelle dans l’église; je ne puis
m’empêcher de pleurer.
-
Jeudi 15 août : fête de
l’assomption. Pas le moindre signe de fête. On travaille comme
les autres jours car, chez les protestants, le 15 août n’est pas
un jour férié; or, dans cette contrée, il n’y a que des
protestants. Ici, il pleut, s’il fait le même temps à Maubray,
la procession ne pourra pas sortir (N.B.- Allusion à la
traditionnelle procession du 15 août) !
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