La Métamorphose de Maubray entre 1952 et 2017
Auteur : Omer HELLIN
Septembre 2017
La (re)découverte dans mes archives d’une monographie sur Maubray
élaborée en 1952 comme travail de fin d’humanités, effectuée à la
demande du professeur de géographie (Robert SEVRIN), m’a donné une
superbe occasion de remonter le temps et ainsi de mesurer l’évolution
significative du village en l’espace de 65 ans, mon curseur s’étant
placé sur trois secteurs d’activité : le commerce, l’artisanat, le
milieu agricole.
Sur base de ce document de référence, et au
prix d’un exercice de mémoire scrupuleux, j’ai essayé d’identifier au
mieux les acteurs qui se cachaient derrière les données chiffrées y
mentionnées (1).
En 1952 – on se situait quelques années après la fin de la seconde
guerre mondiale – l’économie du village était presque entièrement
autarcique. En effet, par la seule production locale il était possible
de subvenir aux besoins immédiats : logement, nourriture, habillement,
chauffage.
De profondes modifications ont eu lieu depuis lors ; on reste assurément
stupéfié par l’amplitude des changements intervenus dans tous les
domaines sous revue :
Quoiqu’il en fût, la descente aux enfers se révéla inexorable !
(1) La monographie ne reprenait aucun nom de personnes.
En ce qui concerne la dénomination des rues, il y a lieu de tenir compte
du fait que :
- « Marais de Maubray » est devenu « rue du Marais »
et "résidence les Vanneaux",
- « Marais de Morlies » est devenu « rue de Morlies ».
Pour ce qui est de la numérotation des habitations, il s’agit de celle
actuellement en vigueur.
Examinons par le détail cette métamorphose
vécue par notre commune de Maubray (2017 par rapport à 1952) :
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L’usage généralisé de la congélation et, à partir de là, la possibilité
d’acheter en grandes quantités et à un prix plus avantageux dans les
grandes surfaces a conduit le consommateur à se distancier
progressivement de ce commerce de proximité.
En l’absence de motivations de la part de leurs descendants, les quatre
bouchers ont été amenés les uns après les autres à cesser leur activité.
Il est fort probable aussi que si d’aventure, au moment de la cessation,
le local ou le matériel n’avaient plus répondu aux normes imposées,
l’investissement pour une éventuelle mise en conformité dans le chef
d’un repreneur potentiel eût été dissuasif.
Actuellement, il n’y a donc plus de
boucheries à Maubray.
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Plus tard, Gérard MOLLET (dit : l’Da), d’Antoing, et MARGERIN, de Vezon,
vinrent s’ajouter au duo des boulangers ambulants.
A l’occasion des deux ducasses annuelles, beaucoup de Maubraisiens
allaient faire cuire les tartes – qu’ils préparaient chez eux – dans
leur boulangerie favorite. Ils déambulaient le plus souvent à vélo, une
main sur le guidon et l’autre tenant le porte-tartes…au
risque de perdre l’équilibre !
Tous trois ont baissé le rideau depuis belle
lurette, laissant Maubray orphelin d’une production locale.
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On a peine à réaliser, à l’heure d’aujourd’hui, le passage du brasseur
faisant sa tournée de livraisons assis sur un chariot tiré par un
cheval ; c’était pourtant le mode opératoire choisi par Léon Vivier. Par
contre, Louis Catoire était motorisé.
Les casiers remplis de boissons arrivaient à domicile sans le moindre
effort pour le consommateur, qui en était ravi compte tenu du poids non
négligeable des bacs s’il avait dû les véhiculer lui-même.
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CAFETIERS (9 en 1952 ; 2 en 2017) |
Les neuf autres cafés s’agglutinaient autour de trois pôles
géographiques :
Dans les années qui suivirent, sont venus s’y ajouter, pour un certain temps :
Ces lieux de rencontre, de convivialité
d’autrefois se sont raréfiés au fil du temps. Lorsque chaque foyer a pu
s’équiper d’une télévision et de sa voiture le mode de vie a évolué
fortement et la disparition d’une clientèle régulière conduisit à
précipiter la fermeture des établissements. Il faut savoir aussi que ces
cafés faisaient partie intégrante de l’habitation même des exploitants
qui, pour ne pas l’abandonner, préférèrent fermer plutôt que de vendre.
Mais, en tout état de cause, les potentiels repreneurs n’étaient
apparemment pas légion. Il reste que ceux qui, actuellement, se sentent assoiffés ont toujours la possibilité d’aller se désaltérer dans les deux derniers cafés du village, situés grand place :
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A l’époque, les productions artisanales des
cordonniers recueillaient beaucoup de considération. Mais, à l’aube de
la décennie 1970, on enregistra une désaffection progressive pour ce
métier ; il n’avait vraiment plus la cote.
En ce qui concerne l’activité principale – la chaussure – certains
préféraient acheter des souliers haut de gamme (qui ne valaient plus le
coup d’être réparés) alors que d’autres
privilégiaient
le plastique. Le « jetable » commençait aussi à
prendre des galons. D’autre part, les souliers, bottes… se
confectionnaient de plus en plus en usine et non plus à la main.
En l’absence de relève et face à de telles
conditions défavorables, une transmission de génération en génération se
faisait de plus en plus problématique ; il ne restait donc plus aux
cordonniers qu’à baisser le rideau.
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On dénombrait à l’époque les négociants ci-après :
Au fil du temps, tous ont plié bagage laissant derrière eux des
réminiscences de jours meilleurs.
Les grandes surfaces se sont
multipliées, concurrençant le petit commerce et le mettant à mal en
terme de rentabilité. La voiture a facilité les déplacements et a
accompagné grandement cette évolution devenue inexorable des pratiques
de consommation.
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FERMIERS |
Cinq d’entre elles avaient été reprises quelques années auparavant par
des familles originaires de Flandre :
L’arrivée des tracteurs et autres machines agricoles, et corrélativement
la disparition du cheval de trait, ont transformé radicalement les
méthodes de travail. D’une manière générale, la mécanisation de
l’agriculture conduisit la profession à une diminution des
exploitations. Si la superficie agricole totale n’a que peu changé (en
fait, elle a un peu diminué en raison des expropriations pour utilité
publique en rapport avec : l’autoroute, le nouveau canal, le TGV), il
reste que la taille moyenne des parcelles a augmenté suite au gain des
terres libérées par les petits agriculteurs qui ne sont pas parvenus à
s’adapter aux changements et qui ont disparu. Cette évolution a concerné
tous les secteurs de production agricole : fermes céréalières, éleveurs
de bovins à viande, producteurs laitiers.
On assista donc à une lente disparition des
fermes du paysage. Indépendamment de l’aspect « mécanisation », il
faut aussi l’attribuer aux
difficultés (rentabilisation de
l’investissement) et à l’absence de motivations, pour diverses raisons,
de la part des descendants pour une reprise de la ferme familiale.
Un fermier de Fontenoy, Claude HELLIN, occupe
en location plusieurs hectares de prairies à Maubray le long du chemin
de fer, où paissent bon an mal an 40 à 50 veaux et vaches.
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MARCHANDS DE CHARBON (3 en 1952 ; 0 en 2017) |
Ceux-ci passaient régulièrement pour
approvisionner leurs clients, principalement au sortir de l’été,
notamment à l’aide d’un véhicule tiré par un cheval, lorsqu’il y avait
pour certains d’entre eux absence de motorisation. Les livraisons se
faisaient en général par sacs de 25 ou
Hélas pour ces distributeurs, les années 1960
furent celles du début d’une explosion des énergies concurrentes visées
supra, et dans la foulée, le passage à la trappe de leur petit commerce.
En quelque sorte, le charbon avait fait son temps et la profession
s’éteignit au fil des ans.
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On arrivait à l’époque à la fin de l’âge d’or du vélo. D’une manière
générale, les statistiques montrent un effondrement de la pratique de la
bicyclette dans nos pays européens occidentaux au cours de la décennie
1960-70. Ce déclin, et cette désaffection, consécutifs à l’arrivée de la
voiture se sont poursuivis sans interruption, le vélo devenant même
porteur d’une image négative. Dans ces conditions, l’issue devenait
inéluctable pour ces marchands.
Après un long déclin, la pratique du vélo est
maintenant renaissante et le secteur est en bonne voie d’une
renaissance, de quoi redonner le moral à une économie en difficulté.
Mais cela conduira-t-il au retour d’un marchand de vélos à Maubray ? On
peut se poser la question.
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Mais son principal client, l’agriculteur, délaissa graduellement ses
chevaux – qui avaient pourtant été ses précieux auxiliaires de travail –
au profit de la machine, laquelle lui procurait un gain de temps et, par
ricochet, d’argent sur le long terme. Ainsi, la mécanisation de
l’agriculture conduisit la profession à une disparition. Certes, le
maréchal-ferrant réparait aussi les outils agricoles, cerclaient les
roues, aiguisait les outils tranchants… mais tout cela ne constituait
pas son activité principale, son « core business » dirait-on
aujourd’hui.
Henri COQUETTE eut la possibilité, vu son âge avancé au moment du
déclin, de poursuivre son métier jusqu’à l’heure de la retraite sans
trop de déconvenues.
Les derniers chevaux de trait présents dans le village étaient ceux de
Henri JACQUART, de Vezonchaux ; ils participaient par ailleurs aux
processions religieuses dans les années 1990 (voir à ce sujet le
reportage sur les processions).
Notons qu’il n’y avait déjà plus de
bourreliers ni de charrons en 1952.
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Sa clientèle était essentiellement locale car il ne disposait pas
d’engin motorisé pour assurer ses livraisons. Il travaillait avec son
fils Henri qui, au moment de la cessation d’activité de la menuiserie,
alla s’installer à Antoing, où il ouvrit un important atelier pour la
fabrication de volets en plastique sous la marque « ANTONIA-VOLET ».
On pouvait voir régulièrement dans les rues
du village Jules et son fils poussant leur charrette à bras chargée de
meubles divers. Le transport le plus lugubre et certainement le plus
impressionnant pour l’adolescent que j’étais concernait celui de
cercueils… hélas non dissimulés sous une housse !
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MERCERIES (2 en 1952 ; 0 en 2017) |
Les couturières maubraisiennes pouvaient trouver leur bonheur en 1952 en
allant s’approvisionner dans l’une ou dans les deux merceries du
village ; à vrai dire, il semblerait que celles-ci étaient même au
nombre de trois :
Antérieurement - mais encore quelque temps
après la guerre - Elie MAGIS avait tenu pendant de nombreuses années une
mercerie à la rue des sables, 2 ; comme la maison vendait aussi
accessoirement des sucreries, les garçons fréquentant l’école située à
proximité y allaient dépenser leur argent de poche !
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PEINTRE ET VENDEUR DE PEINTURES (1 en 1952 ; 0 en 2017) |
A la fin des hostilités, il s’installa avec
son frère, au n°3 de la rue des Sables, comme peintre en bâtiment et
distributeur de peintures, mais pour un court laps de temps toutefois
car, après quelques années de présence seulement, il quitta le village
pour aller poursuivre ses prestations à Gaurain.
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SALONS DE COIFFURE (1 + 2 en 1952 ; 3 en 2017) |
Deux autres personnes trouvaient aussi leur place, en quelque sorte,
dans la famille des coiffeurs, mais elles n’exerçaient leur art que le
soir et durant les w-e, indépendamment de leur emploi principal :
Cette profession recueille, et a toujours recueilli, un succès certain
puisqu’elle est la seule parmi toutes celles passées en revue dont le
nombre n’a pas diminué. On ne peut en effet passer sous silence celles
et celui qui ont aussi occupé plus ou moins longtemps le terrain mais
qui ont à présent tiré leur révérence :
Au nombre de trois actuellement, les salons ont noms :
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Le but de la présente analyse a été de montrer comment Maubray a changé
de visage et s’est transformé en 65 années, comment – pourrait-on dire
– il est entré dans la modernité. L’univers dans lequel nous
baignons en 2017 n’a en effet plus rien de comparable avec celui de
1952 ; des pans entiers d’activité ont disparu, au profit d’autres,
heureusement.
Les Maubraisiens qui ont vécu in situ les années d’après-guerre sont
pourtant en droit de se dire, et sans doute avec raison, « Je ne
reconnais plus mon village » ! D’autant que, si je sors de l’épure au
sein de laquelle je me suis confiné - à savoir tout ce qui touche aux
professions liées au commerce, à l’agriculture et à l’artisanat - il y
aurait lieu pour compléter le tableau d’y ajouter la disparition des
fondamentaux : la gare, la poste, la gendarmerie, la douane, le curé, le
bourgmestre, l’école communale, les deux fanfares, les deux cercles
dramatique, les patros, diverses sociétés (tir à l’arc, cercle
colombophile, jeu de boule, jeu de balle pelote) et ma liste n’est
probablement pas exhaustive.
Mais foin de nostalgie, il faut
tourner la page et regarder positivement vers l’avant. Un retour en
arrière serait d’ailleurs difficilement envisageable pour la plupart
d’entre nous. Au demeurant, n’y a-t-il pas lieu finalement de se réjouir
de compter à présent à Maubray – et c’est un « plus » appréciable par
rapport à 1952 - des médecins, avocats et un grand nombre de petits
indépendants investis dans des secteurs porteurs ? |
Septembre 2017
Omer HELLIN |
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