Son et Lumière du 3 septembre 1961
Poème de Maurice Brabant : "Si Maubray m'était conté"

                                  

 

Le dimanche 3 septembre 1961, à l’initiative du « Syndicat d’initiative » qui venait d’être créé, une grande soirée de réjouissances populaires fut organisée dans le cadre, décrit comme idyllique, de la Ferme de Morlies, âgée de 300 ans.


Le clou du spectacle, divisé en trois parties, fut incontestablement le « Son et Lumière », qui retraça l’histoire du village.




C’était à n’en pas douter une entreprise originale et combien audacieuse que de mettre sur pied un spectacle aussi exceptionnel.



Et pourtant, elle fut couronnée de succès ; la représentation fut fort prisée et ovationnée par un nombreux public. Ainsi, le comité organisateur trouva sa juste récompense dans les applaudissements nourris des amateurs de beaux spectacles.

     Il faut dire que la température, idéalement douce, contribua largement aussi au succès rencontré.


     

La cour de la Ferme pavoisée des meilleurs atours, qui servait de décor, avait fière allure, l’ensemble étant naturellement imposant. L’illustration musicale, choisie avec beaucoup d’à-propos, était d’un goût très affirmé et les jeux de lumière adéquats.

     Les origines de la commune, les héros de celle-ci, les heurs et malheurs qu’elle a connus à tous les siècles furent relatés à travers une évocation - un poème - concoctée par Maurice BRABANT, dont on trouvera copie ci-après. Pendant une heure, le spectateur fut enfermé dans l’univers affectif du passé, charmé par le déroulé historique, les effets sonores et lumineux adaptés au site.

                        Un résumé synoptique de l’histoire racontée figurait sur le programme mis à disposition du public présent :



Ce fut l'occasion pour Maurice Brabant de mettre à l'honneur son village par un poème dont le texte est intégralement transcrit ci-après :
Il est à conseiller de le parcourir des yeux avant de prendre connaissance du poème épique de Maurice BRABANT reproduit ci-dessous, certaines nuances pouvant être parfois inaccessibles en première lecture :


SI MAUBRAY M’ETAIT CONTE…

3 septembre 1961

Son et lumière, dans la cour de la ferme de Morlies.

Maurice BRABANT

***************

 

Mesdames, mes respects, mes hommages Messieurs !…


2. Que de gens assemblés !… Je n’en crois pas mes yeux

Et devant tant de chic, de charme, de dentelles :


4. Je rougis de plaisir, comme une jouvencelle !…

Je voudrais ce doux soir, sans vaine prétention,


6. Rencontrer votre cœur par Lumière et par Son…

Car si je suis craintif à montrer mon visage,


8. On prétend que je suis … le plus coquet village !…

Je me présente enfin, geste de bon aloi :


10. Je suis … < Maubray> … Messieurs, vous entendez ma voix !

Et vais pendant un temps, vous conter mon Histoire,


12. Car, si je suis petit… J’ai des titres de gloire !…

Conquête sur les bois, vers l’année Onze cents,


14. Leur sève m’a légué la grâce du printemps…

D’un Comte, j’ai reçu le nom, en héritage,


16. Son « renom » rejaillit sur mon champ, mon bocage !…

Combattant valeureux, ardent, fier et jaloux,


18. En brave, il défendit son grand « Château des loups »

Contre les malandrins habiles aux pillages,


20. Tuant les paysans dans mes verts pâturages !…

Mais, c’est dans mes forêts, dans mes bois de « Glançon »


22. Qu’il conquit hardiment son plus joli fleuron :

Il était grand chasseur !… Amoureux fou de Diane,


24. Pour la Belle, il vécut la passion partisane !…

Toujours Diane eut chez nous, les amants les plus doux :


26. Des Comtes, des Barons … jusqu’à Monsieur Leroux ! …

Le Comte de <Mombré>, au détour d’une haie,


28. Fut happé brusquement par une énorme laie…

Il rendit sa belle âme un clair matin de Mai …


30. Les Anges, ce jour-là, … ont pleuré sur Maubray !…

Pour la postérité, il me laissa en gage :


32. Une veuve éplorée et trois fils en bas âge

Bébés roses, joufflus potelés à souhait,


34. Jouent aux Ménestrels en sirotant leur lait…

Mesdames, il est temps ! Oui ! … De les faire taire


36. En exemple à Dumas, pour ses « Trois Mousquetaires »

Nous les retrouverons ? - « Vingt ans après » !… - Bravo !

 

38. Fiers autant que beaux, et par monts et par vaux ,

Mes joyeux compagnons, sur simples haridelles,


40. Prenaient du bon temps, lutinant les pucelles …

Couraient au Saint Lieu vite sans confesser …


42. Arnulphe, leur Curé, les en a bien fessés! …

Mais comment résister au bon Pierre L’Ermite,


44. Ah ! … Quant à la Croisade, enfin ! … Il vous invite

Deux de mes trois héros, enrôlés les premiers,


46. Partirent à cheval … Aboutirent à pied ! …

Que de rudes combats ! ! … Que d’assauts intrépides !! …


48. Autour de mes Croisés … Partout c’était le vide

Jusqu’au jour où , hélas ! … A deux contre deux cents ! …


50. Ils périrent debout ! … en versant tout leur sang ! …

Debout ! … Dos contre dos ! … Cloués à même lance !!


52. Près du tombeau du Christ et pour sa délivrance ! …

La Devise resta ! … <Cul à Cul Waudripont> ! …


54. Excusez-moi, Mesdames … mais c’est sur mon blason! …

Les deux preux disparus … Poussière en Terre Sainte ! …


56. Leur frère malheureux - A vous parler sans feinte !-

Au cours d’une tempête, en perdit la raison


58. Et dans l’étang voisin … se noya sans façon ! …

Les hommes trucidés … Il nous reste les femmes :


60. Maigne de Waudripont qui conquit bien des âmes

Jacline des Cordes, lionne au franc jupon ! …


62 Si Tournay mit un jour, sa Belle sous un pont

Figée dans le roc, hésitante, sans voile …


64. Trop vives sous mes murs, mes Belles , mes Etoiles

N’eurent jamais le sort d’une « pierre à plaisir »


66. Et c’est dans votre cœur, qu’il vaut mieux les chérir ! …

Triste, funèbre « Mil six cent soixante-seize » ! …


68. Année détestable, époque de fournaise ! …

Car il ne reste rien de ma noble Cité ! …


70. Holocauste soumis à l’agressivité ! …

Et le « Château des loups » et l’église si riche,


72. Depuis l’humble maison jusqu’à la simple niche,

Tout fut rasé ! … brûlé ! dans mes champs fécondés ! …


74. Tel fut le résultat du siège de « Condé » …

Amis intéressés, devant tant de misères …


76. Je vous laisse écouter, la plainte de mes pierres ! …

Deux jours après déjà, près de l’église en ruine,


78. Grince le gai grillon et fleurit l’aubépine …

Et ce fut alors que, sous les murs calcinés,


80. On entendit, soudain, le cri d’un nouveau né ! …

Le père impatient, sur ce chant d’espérance


82. Se remit au travail, en dépit des souffrances

Sûr de son avenir, béni par ses aïeux


84. Sa pioche il reprit, son marteau et son pieu…

Tel que le papillon changeant sa chrysalide


86. Sous la cendre encore chaude et malgré ses yeux vides

A force de pleurer : « Maubray » se reconstruit :


88. Maison après maison poussent comme des fruits …

Mais pour qu’il soit plus beau et plus digne d’envie


90. Chef d’œuvre fut créé « La ferme de Morlies »

Admirez-la Messieurs ! … Malgré ses trois cents ans,


92. Les orages, le vent, la patine du temps,

Dieu ! Comme elle est altière et comme elle est gentille :


94. Sa tourelle et sa cour et sa grange bastille,

Son écurie si … vaste que, quinze nuits,


96. Un escadron entier s’installa et dormit ! …

Pour mieux vous accueillir, à l’ombre de ses pierres


98. Coquette, elle a vêtu sa robe de Lumière …

Plus tard à ses enfants, cachant mal son orgueil,


100. Elle lira vos noms, sertis dans un recueil ! …

Fontenoy ! Mes amis … Ah ! La jolie guerre


102. Uniformes pimpants … Tactique sans mystère

On vous aligne bien, dans un grand champ fleuri,


104. Face à face et en rang ! … Saluts ! … On se sourit,

On joue de la jambe, on risque une courbette,


106. On pince le jabot, rentre la mignonnette,

On se lance un clin d’œil noyé d’aménité,


108. Et la civilité dure une éternité,

Car on attend que l’autre ait rendu la pareille …

 

110. En ce gracieux duo, le Français fait merveille,

L’assaut de politesse il le gagne à tout coup !


112. Mais le sort du combat n’importe pas beaucoup…

Notre voisin si cher a vaincu de deux toises


114. Car l’histoire a gravé ses phrases si courtoises

« Pardieu ! Monsieur l’Anglais ! … Tirez donc le premier » ! …


116. … L’insulaire atterré … ne s’est pas fait prier …

Or les soldats blessés, ramassés dans la plaine


118. Ici furent soignés, … le cour en était pleine,

Et tous les Maubraisiens de franches amitiés,


120. A ces braves Français se sont sentis liés ! …

Sotte diplomatie, ô vanité cruelle ! …


122. Un traité fut signé, celui d’Aix-la-Chapelle

Arraché à la France à qui va votre cœur


124. De l’Autrichien obscur, je refais le bonheur …

……….


126. Dans les prés, le hibou appelait son amie

En ce beau soir d’été si tranquille et si doux,


128. Rien ne laissait prévoir l’attaque du trois août ! …

La Ferme, place forte, asservie à l’Autriche


130. Lentement se mourait parmi la terre en friche …

Depuis de trop longs ans, sous un vieux chef sournois,


132. S’étiolait en ses murs un bataillon viennois ! …

Et l’œil de l’occupant, nostalgique aux montagnes,


134. Incapable d’aimer nos trop calmes campagnes

Se voile d’inaction, d’ennui, de consomption


136. Aveugle aux soubresauts de la révolution …

L’Hydre aux bonnets phrygiens lance ses tentacules


138. Elle inscrit ses exploits en lettres majuscules :

Le vaillant Dumouriez va frayer son chemin


140. Ivre de liberté, Maubray lui tend la main ! …

Soudain, en un éclair, la bataille fait rage


142. L’ennemi, pris de peur, s’affole dans l’orage !

En vain s’acharne-t-il à pointer ses canons,


144. L’assaillant est trop proche et demande raisons ! …

Jamais on n’avait vu un assaut si farouche,


146. Corps à corps sans pitié car chaque coup fait mouche ! …

On se tue partout dans la grange, la cour,


148. Sur les toits embrasés, on entend des cris sourds

Des râles angoissés, des plaintes d’agonie


150. Le nom d’une « Maman » ou d’un Dieu qu’on renie !…

Trois heures de combats ! … Bientôt cesse le bruit


152. Les derniers Autrichiens s’égaillent dans la nuit…

C’est alors qu’on se compte à la lueur des flammes


154. Parmi les rescapés, on reconnaît … deux femmes !

Les soldats leur font fête et clament leur bonheur,


156. Car la victoire est due à l’ardeur des deux sœurs :

Fleming Félicité, Théophile l’Ainée ! …


158. Deux filles de Mortagne ont fait ma destinée ! …

Mil huit cent trente et un ! Vive la liberté !


160. Un roi nous est donné, flattant notre fierté

Du sang versé à flots germe l’indépendance


162. Hélas … dans la région s’enlise la souffrance -

Du sinistre Maugré - O haine si fatale ! -


164. L’orgueilleuse Maubray en est la capitale …

Les loyers sont doublés par les Princes d’Antoing


166. Le paysan s’indigne et brandit haut le poing !

Pourtant la location est d’un prix dérisoire


168. Mais l’occupant têtu a serré la mâchoire

Il reste ! Il veut rester sur son champ de labour


170. Car s’il est fécondé, c’est grâce à sa sueur

Ne voulant pas payer, chassé à coup de lance


172. Refoulé dans la haine il trame sa vengeance

Du nouvel occupant il sape le bonheur


174. Et distille sur lui le venin de son coeur

Sont fauchés les blés verts au cours des nuits bien sombres,


176. Le bétail décimé, la grange : des décombres !

Et la gendarmerie, en vain, serrant les dents


178. Ne trouve aucun appui auprès des paysans

Le Maugré tend son voile obscur de grand mystère


180. Partout ce n’est que vols, sévices et misère

Mais la coupe déborde et les abus trop grands


182. Deux meurtres sont commis dans la rue à Grand Camp !

Pour juguler ce mal, ce fléau si horrible


184. D’urgence il faut créer un exemple terrible !

Malgré ses alibis, un coupable arrêté


186. Jugé et condamné, est vite exécuté …

Le curé des pourceaux malgré la guillotine


188. Hante encore les esprits, la nuit dans les collines

Cependant dans le bourg, l’ombre de l’échafaud


190. A refroidi l’ardeur, l’ire d’un sang trop chaud !

Le calme revenu dans la ferme fleurie


192. S’écoulent des beaux temps presque sans l’euphorie

Le bon curé vainqueur, grâce à ces chapelets


194. Marie Montaigus aux ardents Capulets

O bien sûr ! Il y eut les deux si grandes guerres !


196. Les chœurs entrelacés des marches militaires

A l’instar de Paris, clamons l’évènement


198. Maubray fut libéré par nos seuls résistants !

Et depuis quelques mois, pour que la cité vive,


200. Un syndicat est né ! Belle initiative !

Et tous les Maubraisiens unissent leurs efforts!


202. Du Tournaisis nouveau vont aider à l’essor …